Le mal logement français ou le miroir du Classisme
Depuis plusieurs années, la France connaît une crise du logement qui précarise une grande partie de la population. L’épidémie du Covid 19 a permis de mettre en exergue ce fléau comme j’ai pu l’évoquer dans un précédent article sur le confinement. Alors que la France se reconfine, on peut craindre une aggravement de la situation lié à une hausse de la paupérisation. Pourtant, selon une étude récente de la FNAIM (Fédération Nationale de l’Immobilier), le parc de logements français est l’un des plus importants d’Europe.
Quels sont les moyens réellement mis en œuvre par l’État pour gérer cette crise et quelles en sont les caractéristiques ?
Des Loyers exorbitants et une Garantie Loyer discriminatoire
Un des premiers constats qui s’impose lorsque l’on décide de s’installer à Paris c’est le rapport dissymétrique entre la surface des logements et les loyers des appartements. Ces derniers connaissent une hausse constante qui ne laisse que peu de choix dans nos standards de sélection. En 2018, l’Observatoire des Loyers de l’Agglomération Parisienne, relevait une hausse des loyers du parc locatif privé ont en moyenne de 1,5 % dans Paris, avec des évolutions proches sur les trois zones : 1,5 % en petite couronne (Hauts-de-Seine, Seine-Saint-Denis et Val-de-Marne) et 1,3 % dans la grande couronne (partie agglomérée – Essonne, Seine-et-Marne, Val-d’Oise et Yvelines). Cette évolution est plus importante qu’en 2017.
Cette étude présente également un loyer moyen de 1 165€ dans la capitale, pour une surface moyenne de 50m2 et 877€ en petite couronne pour la même surface.
Dans les faits, la plupart des appartements sur lesquels vous tomberez tourneront effectivement autour de ces loyers mais avec des surfaces se rapprochant plus des 25-30m2 que des 50.
Un jeune travailleur avec des revenus moyens entre 1500 et 1800€ net doit donc se résoudre à investir une bonne partie de ses revenus dans le loyer d’un petit studio pour se rapprocher de son lieu de travail. Le scénario serait envisageable s’il ne dépendait que du prix du loyer, mais un autre élément entre en jeu : La Garantie Loyer Impayée.
Cette Garantie c’est un peu comme la petite pointe de l’iceberg qui cache un obstacle infranchissable aux conséquences désastreuses. Présentée comme une bouée de sauvetage pour les propriétaires frileux, elle s’avère être un bon bulldozer contre la mixité sociale. Cette garantie qui indemnise les propriétaires en cas d’impayés et de dégradations, oblige les candidats à la location à présenter des salaires 3 à 4 fois supérieurs au montant du loyer, soit 3000€ en moyenne. Une situation surréaliste quand on connaît la réalité des revenus dans le pays, avec un salaire moyen fixé à 1 521,22 € bruts. Un ou plusieurs garants peuvent aussi être exigés en plus de tout cela.
On se retrouve ainsi avec des jeunes actifs relégués en banlieue s’ils recherchent des logements décents et contraints de passer leur vie dans des transports, souvent bondés d’autres actifs dans la même situation. Les plus déterminés à vivre à paris, devront se contenter des logements-placards ou de colocations aléatoires dans le meilleur des cas.
Une prolifération de logements-placards insalubres
Alors que l’on observe un encadrement des loyers en zone tendue depuis la loi ALUR de 2014, les surfaces des logements demeurent un sujet obscur/ opaque. C’est sur ce flou cette opacité que surfe une belle poignée de propriétaires avides de profits et d’économies. Leur astuce favorite ? Sur le bail gonfler de quelques mètres carrées la surface d’appartements étriqués.
Depuis mars 2009, les baux d’habitation doivent indiquer la surface habitable du logement, c’est la Loi Boutin. Est exclue du calcul, la superficie des combles non aménagés, des caves et sous-sols, des remises, des garages, des terrasses, loggias et balcons et autres dépendances des logements, ou encore des parties d’une hauteur inférieure à 1,80 m. A noter qu’en France, depuis 2002, la surface minimale légale d’un appartement est de 9m2, cette limite est bien trop souvent outrepassée.
Devant la pénurie de logements, la flambée des loyers et les difficultés à satisfaire les garanties exigées par les propriétaires, de plus en plus d’actifs se jettent sur ces placards indécents. Des placards qui ont souvent pour cadre de beaux immeubles bien situés dans la capitale.
Le prix élevé des placards est justifié par la qualité des prestations, selon certains propriétaires, notamment le prix investi pour réaliser les travaux. Mais cela reste disproportionné par rapport à la qualité de vie médiocre qu’ils offrent.
La Fondation l’Abbé Pierre a exposé de nombreuses situations choquantes de mal logement, un des cas les plus marquants est celui d’une mère et de son enfant qui ont habité dans 4m2 pendant 3 ans avant d’être expulsés.
Face aux difficultés des recherches de logements, les recours à la justice vis-à-vis des propriétaires véreux sont timides, il est pourtant possible d’obtenir des compensations financières, notamment en cas de tromperie sur la surface du logement. Si le locataire constate que la surface de son logement est inférieure d’au moins 5 % à celle annoncée dans le bail, il peut intenter une action en diminution de loyer, proportionnelle à l’écart constaté. Le gros problème, c’est que cela ne concerne que les locations vides dont les baux ont été signés à partir de mars 2014. Cette partialité témoigne d’un désintérêt profond pour les locataires.
Des millions de logements vacants
Cette crise interroge sur le vide observé dans l’offre locative. Le manque de logement étant le principal levier dont usent et abusent les propriétaires. Quel est l’état réel du parc immobilier français ?
Selon une enquête du journaliste Denis Boulard, l’État possèderait un parc immobilier de 78 millions de mètres carrés, dont 11 millions vacants, comprenant 1 million de logements ! L’État dément bien sûr, en affirmant qu’il s’agirait plutôt de 3 millions de biens vacants.
Le reportage « On n’est pas que des pigeons » sur France 4, nous révèle aussi que dans ces logements, certains bons amis de responsables politiques ou fonctionnaires sont logés à court ou moyen terme, gracieusement aux frais de l’État, donc du contribuable. Tout cela reste bien sûr opaque.
La mauvaise gestion des biens vacants pourrait être imputée à la décentralisation, selon Denis Boulard. L’État a choisi de diviser ses dépenses et chaque ministère a eu la gestion d’un budget comprenant l’entretien de ses biens immobiliers. Le problème, c’est que cela s’est fait en dépit de réductions budgétaires, l’entretien des biens n’était pas la priorité.
Le patrimoine est donc mal géré, les coûts d’entretien augmentent et l’État délaisse ces biens. Certains exemples de réinvestissement de biens vacants révèlent d’autres failles. A Joigny, en Bourgogne, une ancienne caserne a été réhabilitée. Elle a permis de mettre à nu des problématiques concernant les normes. L’État étant son propre assureur, le bâtiment n’était pas aux normes civiles ; une fois entré dans le domaine civil, le respect des normes a été imposé et l’augmentation des coûts a suivi. Le plan de prévention des risques a également fait son apparition dès son entrée dans le domaine civil, le ruissellement et la pollution des sols n’étant pas le problème des militaires ! L’opération aura coûté environ 15 millions d’Euros.
Les logements vacants coûtent chers, même aux particuliers. Les propriétaires doivent s’acquitter d’une taxe de vacance mais certains usent de stratagèmes pour l’esquiver. Parmi ces techniques, il y a notamment le fait d’occuper 30 jours consécutifs par an le logement, pratique légale. La vacance se perpétue donc, parfois 15 ans et même plus, avec l’espoir pour les propriétaires de doubler, voire tripler la valeur de leur bien par rapport aux prix d’achat. Pendant ce temps, aucune mesure n’est clairement définie pour résorber la crise.
Il y a aujourd’hui 4 millions de personnes mal logées. Ces logements vacants pourraient être une opportunité pour l’État de reloger une grande partie de ces personnes en situation précaire, notamment par le biais des bailleurs sociaux. Mais il n’en est rien. Avec une augmentation du chômage liée à la crise sanitaire, on peut se douter que l’ampleur du mal logement a pris une autre tournure. La population se précarise davantage mais l’offre en logement ne change pas. Une situation grave, lorsque l’on sait que la cohésion sociale et le droit au logement font partie des missions régaliennes de l’Etat.
Le Droit au Logement Opposable (DALO) permet depuis 2007 d’obliger l’État à reloger dans les 6 mois des sans-abris. A cela, s’ajoute l’ordonnance du 11 octobre 1945 sur la réquisition des logements vacants. La généralisation de l’application de ces deux mesures fait défaut par l’État. Et si au lieu de multiplier de nouvelles opérations immobilières coûteuses et peu écologiques on s’attaquait plutôt à un réinvestissement des millions de logements vides dans le domaine public ?
Je vous partage un reportage intéressant, qui vous fera fait découvrir le calvaire des micro logements insalubres.