L’architecture africaine a un prix Nobel
Après mûre réflexion, je me suis résolue à partager mon ressenti sur un événement récemment médiatisé mais que j’estime survolé sur sa réelle portée.
Le 15 mars qui a indifféremment commencé dans le tumulte quotidien, a pris un relief tout autre à l’annonce du Pritzker 2022. Chaque année le fameux prix Nobel récompense des architectes du monde entier pour leur apport significatif au patrimoine architectural mondial. Les murmures s’intensifièrent : « le premier africain à recevoir la distinction », la récompense d’un « engagement pour la justice sociale », le tableau était dressé. Francis Diébédo Kéré était sacré prix Nobel d’architecture. L’architecte africain avait su allier son « savoir technique » allemand à la connaissance de sa terre natale.
Une telle annonce ne pouvait passer inaperçue, surtout auprès des architectes africains. Elle résonnait comme l’officialisation d’une reconnaissance inespérée dans le cercle très fermé des architectes célébrés.
La réception du sacre aurait pu se limiter à de l’émotion, s’il ne s’agissait pas du prix Nobel de l’architecture. En effet de Philip Johnson à Lacaton et Vassal, la distinction n’a cessé de mettre en exergue des démarches architecturales singulières dans leur approche sociale mais avant tout architecturale. Il s’agit de l’architecture dans sa dimension « Vitruvienne », à savoir la solidité ou technicité des ouvrages, leur fonctionnalité et leur beauté plastique.
Au fil des lignes de la pléthore d’articles sur le lauréat, il apparaissait que cette dimension architecturale n’égalait en rien l’importance donnée à sa démarche sociale, si ce n’est pour son caractère écologique. Et cette dernière flirtait sensiblement avec l’essentialisation pour ne résumer son cadre d’application qu’à celui d’un « village pauvre » ou « pays marginalisé », qui aurait gracieusement bénéficié de bâtiments de qualité.
Cette description de l’oeuvre de l’architecte qui est sensée être celle de toute une carrière, contraste avec l’appréhension que j’en ai eu. Francis Kéré n’est pas un architecte désinscrit d’un territoire, il est porteur d’une mémoire qui l’a précédé, d’un héritage social, technique et culturel qui l’a façonné et ce, depuis le Burkina Faso, bien avant son arrivée en Allemagne.
La Haute Volta rebaptisée Burkina Faso « pays des hommes intègres » en 1984, est un petit pays sahélien dont la délimitation héritée du traité colonial de Berlin de 1885, le prive d’un accès à la mer. L’ancienne colonie française accède officiellement à l’indépendance en août 1960, mais c’est véritablement en 1982 que le destin de ce pays prendra un tournant sous la présidence du capitaine Thomas Sankara. Le militaire arrivé suite à un coup d’état à la tête du Burkina Faso, va oeuvrer à contrer la désertification qui enlise le pays, sa présidence de 4 ans s’achève en 1987 par son assassinat. De nombreuses techniques expérimentales vont être mises en oeuvre ou planifiées , la revalorisation de techniques ancestrales comme le Zaï, la plantation d’arbres du Burkina Faso jusqu’à d’autres pays de la sous-région, c’est la révolution verte. A cette occasion Thomas Sankara fera appel à Pierre Rabhi pour s’enrichir de ses connaissances en agro écologie. Cette politique avait pour objectif d’aboutir à une autonomie, une autosuffisance alimentaire, une redistribution des richesses mais également la libération des paysans des engrais chimiques et la gestion participative des ressources locales par le peuple. Tous les burkinabés se mobilisèrent pour apporter leur pierre à l’édifice, chacun se sentait impliqué dans la concrétisation d’un bien être collectif et durable.Ce projet a pu émerger car il reposait sur des savoirs déjà présents bien que perdus en partie par le déracinement colonial.
Comme partout ailleurs, les Hommes ont su tirer profit de leur environnement pour développer des techniques constructives ingénieuses en adéquation avec le site. Le Burkina Faso ne fait pas défaut. Les architectures précoloniales en pays Kasséna montrent une dextérité dans la construction en terre, la prédominance de formes courbes, organiques comme expression de « l’habiter » et la maîtrise de l’art mural. Elles témoignent d’une dialogue constant entre un territoire singulier par sa flore, sa géologie et son climat et une population mue d’une cosmogonie ancestrale. Ce dialogue qui s’inscrit dans une dynamique de partage , se matérialise notamment par la préexistence de cours intérieures dans les lieux de peuplement.
C’est autour de ces quelques aspects non exhaustifs de son patrimoine que la démarche de Francis Kéré semble s’être articulée.
Loin d’un tableau misérabiliste, les projets de Francis Kéré sont une revalorisation de techniques endogènes et une réappropriation collective d’une architecture ancestrale comme socle communautaire. Cette démarche en soit est unique et devrait avoir un écho mondial pour ce qu’elle pourrait apporter à d’autres pays au delà des frontières africaines. On parle aujourd’hui d’architecture bioclimatique ou d’architecture participative comme s’il s’agissait de concepts nouveaux ; c’est une erreur qui a mon sens ne valorise pas l’apport de chaque peuple et de chaque culture dans le patrimoine mondial, et à fortiori l’interdépendance de tous les peuples dans le devenir collectif.
Au delà de son aspect fonctionnel et environnemental, l’oeuvre de Francis Kéré est également unique esthétiquement. La forme, la matière, la couleur et la lumière modèlent les oeuvres de Kéré dans un tableau polychrome vivant et évolutif.
J’espère que cette récompense initiera l’arrivée d’autres lauréats africains. On peut citer Sir David Adjaye ou Kunlé Adeyemi dont les oeuvres en Amérique ou en Europe n’ont pas encore été saluées internationalement par leurs pairs. Il y a également d’autres architectes moins médiatisés, comme Mariam Kamara qui a co-réalisé le complexe d’Hikma, mais dont le travail remarquable fait face à une couverture médiatique et à un relais insuffisants. Ces différents cas posent la question de la visibilité du travail des architectes noirs dans la production architecturale mondiale.
Le silence qui les entoure, permet l’indifférence face au portrait voilé « d’humanitaire » fait sur Francis Kéré. J’espère que les prochains prix feront primer la qualité de « l’oeuvre » , à la fois socialement et architecturalement, comme justification de la récompense et que ces oeuvres seront appréciées dans leur essence et leur complexité afin d’être transmises dans leur totalité aux générations présentes et futures.
Complexe culturel d’Hikma au Niger par Mariam Kamara et Yasaman Esmaili